
La perquisition d’un local communal constitue une mesure d’investigation sensible qui se situe à l’intersection du droit pénal, du droit administratif et du droit des collectivités territoriales. Cette procédure soulève des questions fondamentales relatives aux prérogatives de l’autorité judiciaire face à l’autonomie des collectivités locales. Dans un contexte où la transparence de l’action publique est devenue une exigence démocratique majeure, les conditions dans lesquelles une telle mesure peut être ordonnée et exécutée méritent une analyse approfondie. Entre protection des intérêts de l’enquête et respect des principes fondamentaux régissant l’administration locale, l’ordonnance autorisant la perquisition d’un local communal s’inscrit dans un équilibre juridique subtil que nous nous proposons d’examiner.
Fondements Juridiques de la Perquisition des Locaux Communaux
La perquisition d’un local communal s’inscrit dans un cadre normatif précis qui trouve son origine dans plusieurs sources du droit français. Le Code de procédure pénale constitue la pierre angulaire de ce dispositif, notamment à travers ses articles 56 à 59 qui régissent les perquisitions dans le cadre d’une enquête de flagrance, et ses articles 76 et 77-1 qui encadrent celles réalisées lors d’une enquête préliminaire.
Dans le contexte spécifique des locaux communaux, ces dispositions générales doivent être articulées avec le Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui consacre le principe de libre administration des collectivités. Cette tension entre pouvoir judiciaire et autonomie locale a conduit le législateur à prévoir des garanties particulières, notamment l’exigence d’une ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention (JLD) dans certaines circonstances.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a progressivement affiné ce cadre, notamment dans sa décision n°2019-778 DC du 21 mars 2019 relative à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, où il a rappelé que les mesures d’investigation devaient respecter le principe de proportionnalité. De même, la Cour européenne des droits de l’homme a développé une jurisprudence substantielle sur les perquisitions des locaux professionnels, applicable aux locaux communaux, notamment dans l’arrêt Société Colas Est et autres c. France du 16 avril 2002.
Le fondement légal de l’ordonnance autorisant une perquisition dans un local communal varie selon le cadre procédural de l’enquête :
- Dans le cadre d’une enquête préliminaire, l’article 76 du Code de procédure pénale exige l’assentiment de l’occupant des lieux ou, à défaut, une autorisation du JLD.
- Dans le cadre d’une information judiciaire, le juge d’instruction peut ordonner des perquisitions en vertu de l’article 94 du Code de procédure pénale.
- Pour les enquêtes spécifiques (terrorisme, criminalité organisée), des régimes dérogatoires existent, prévus notamment aux articles 706-89 à 706-94 du Code de procédure pénale.
La spécificité des locaux communaux réside dans leur double nature : ils sont à la fois des lieux où s’exerce une mission de service public et des espaces où peut s’appliquer le principe d’inviolabilité du domicile pour certaines parties (bureau du maire par exemple). Cette dualité a conduit la Cour de cassation à préciser, dans plusieurs arrêts, les conditions dans lesquelles ces perquisitions peuvent être menées, notamment dans un arrêt de la chambre criminelle du 27 juin 2001 qui a rappelé que le consentement devait émaner de l’autorité compétente au sein de la commune.
Enfin, il convient de souligner que le cadre juridique des perquisitions dans les locaux communaux s’est progressivement enrichi de textes spécifiques visant à lutter contre la corruption et à promouvoir la transparence de la vie publique. Ainsi, la loi Sapin II du 9 décembre 2016 et les prérogatives accordées à l’Agence française anticorruption ont contribué à renforcer les possibilités d’investigation dans les locaux des collectivités territoriales.
Procédure d’Obtention de l’Ordonnance de Perquisition
L’obtention d’une ordonnance autorisant la perquisition d’un local communal obéit à une procédure rigoureuse, destinée à garantir tant l’efficacité de l’enquête que le respect des droits fondamentaux. Cette démarche se décompose en plusieurs étapes distinctes qui mobilisent différents acteurs du système judiciaire.
La Requête Initiale
Le processus débute généralement par une requête formulée par un officier de police judiciaire (OPJ) agissant dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cette requête doit être adressée au procureur de la République territorialement compétent, qui l’examine avant de la transmettre, s’il l’estime justifiée, au juge des libertés et de la détention. Dans le cadre d’une information judiciaire, c’est le juge d’instruction qui peut directement ordonner la perquisition ou solliciter l’intervention du JLD pour certains locaux bénéficiant d’une protection particulière.
La requête doit comporter plusieurs éléments substantiels :
- L’identification précise des locaux communaux visés par la mesure
- La nature des infractions recherchées et leur qualification juridique
- Les indices laissant présumer que des preuves relatives à ces infractions pourraient s’y trouver
- La justification de la nécessité de recourir à une perquisition plutôt qu’à d’autres moyens d’investigation moins intrusifs
L’Examen par le Juge des Libertés et de la Détention
Le JLD procède à un examen minutieux de la requête au regard des exigences légales et jurisprudentielles. Il vérifie notamment que la mesure envisagée respecte le principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle est adaptée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis. Cet examen est particulièrement rigoureux lorsqu’il s’agit de locaux communaux, en raison du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le juge peut demander des compléments d’information avant de rendre sa décision. Il n’est pas tenu par les conclusions du procureur ou de l’OPJ requérant et dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain. Sa décision peut faire l’objet d’un appel devant le président de la chambre de l’instruction, conformément à l’article 186-1 du Code de procédure pénale.
Le Contenu de l’Ordonnance
L’ordonnance autorisant la perquisition d’un local communal doit répondre à des exigences formelles strictes sous peine de nullité. Elle doit notamment :
- Être motivée en fait et en droit
- Préciser la qualification des infractions recherchées
- Délimiter avec exactitude les locaux concernés par la mesure
- Indiquer les éléments de preuve recherchés
- Fixer, le cas échéant, les horaires pendant lesquels la perquisition peut être effectuée
- Désigner l’OPJ chargé de diriger les opérations
La Cour de cassation exerce un contrôle rigoureux sur la motivation des ordonnances de perquisition. Dans un arrêt du 9 février 2016, la chambre criminelle a ainsi rappelé que « la motivation de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant une perquisition sans l’assentiment de la personne chez qui elle a lieu doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision ».
Une fois l’ordonnance délivrée, elle doit être notifiée sur place, au moment de la perquisition, à l’autorité communale compétente (généralement le maire ou son représentant). Cette notification est un élément substantiel de la procédure, dont l’omission peut entraîner la nullité des actes subséquents.
Il convient de souligner que dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment en matière de criminalité organisée ou de terrorisme, des dispositions dérogatoires peuvent s’appliquer, permettant des perquisitions nocturnes ou selon des modalités spécifiques, conformément aux articles 706-89 et suivants du Code de procédure pénale.
Exécution de la Perquisition et Garanties Procédurales
L’exécution d’une perquisition dans un local communal constitue une phase délicate qui doit concilier l’efficacité de l’investigation avec le respect scrupuleux des droits et libertés fondamentales. Cette opération obéit à des règles précises qui encadrent tant son déroulement matériel que les garanties offertes aux personnes concernées.
Modalités Pratiques de l’Exécution
La perquisition est conduite sous la direction d’un officier de police judiciaire expressément désigné dans l’ordonnance. Ce dernier doit se présenter muni de l’ordonnance du JLD ou de la commission rogatoire du juge d’instruction, selon le cadre procédural applicable. À son arrivée, l’OPJ doit s’adresser à l’autorité communale présente sur les lieux, généralement le maire, un adjoint ou le directeur général des services.
L’horaire de la perquisition est strictement encadré par l’article 59 du Code de procédure pénale qui dispose qu’elle ne peut, sauf exception, débuter avant 6 heures et après 21 heures. Pour les locaux communaux, qui sont des lieux accueillant du public, la perquisition s’effectue généralement pendant les heures d’ouverture administrative, sauf si l’urgence ou la nature des faits justifie une intervention en dehors de ces plages horaires.
Durant l’opération, l’OPJ procède méthodiquement à :
- L’inspection des documents administratifs, registres et archives
- La saisie de pièces à conviction potentielles
- La réalisation éventuelle de copies numériques de données informatiques
- L’audition sommaire de personnes présentes susceptibles de fournir des renseignements
Tous ces actes doivent faire l’objet d’un procès-verbal détaillé, mentionnant notamment l’heure de début et de fin des opérations, l’identité des personnes présentes, la description des lieux perquisitionnés et l’inventaire précis des objets saisis.
Droits et Garanties des Représentants Communaux
Les représentants de la commune bénéficient de garanties significatives pendant le déroulement de la perquisition. Ils ont notamment le droit :
D’être présents durant toute la durée des opérations. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé, dans un arrêt du 30 mai 2012, que la perquisition devait se dérouler en présence de la personne chez qui elle a lieu ou de son représentant. Pour les locaux communaux, cette exigence implique la présence d’un représentant légitime de la commune.
De désigner des témoins qui assisteront aux opérations, conformément à l’article 57 du Code de procédure pénale. À défaut, l’OPJ doit appeler deux témoins requis à cet effet.
De formuler des observations qui doivent être consignées dans le procès-verbal. Ces observations peuvent porter tant sur la régularité de la procédure que sur l’interprétation des documents saisis.
D’obtenir une copie du procès-verbal de perquisition et de l’inventaire des objets saisis, documents qui constituent des garanties essentielles pour l’exercice ultérieur des droits de la défense.
De contester la saisie de certains documents, notamment ceux couverts par un secret professionnel. Dans ce cas, ces documents sont placés sous scellés fermés et transmis au juge compétent qui statuera sur leur sort.
Particularités Liées au Statut des Locaux Communaux
Certaines spécificités doivent être prises en compte lors de la perquisition de locaux communaux. Ainsi, le bureau personnel du maire peut, dans certaines circonstances, bénéficier de la protection accordée au domicile privé. De même, certains documents peuvent être protégés par le secret professionnel ou le secret médical (dans le cas d’un centre communal d’action sociale par exemple).
La perquisition ne doit pas entraver indûment le fonctionnement du service public. Les enquêteurs doivent donc adapter leurs méthodes pour minimiser les perturbations, tout particulièrement dans les services accueillant du public. La continuité du service public, principe à valeur constitutionnelle, doit être préservée dans toute la mesure compatible avec les nécessités de l’enquête.
Enfin, il convient de noter que les élus locaux ne bénéficient pas, en tant que tels, d’une immunité les protégeant contre les perquisitions. Toutefois, certaines protections spécifiques peuvent s’appliquer, notamment pour les maires agissant en qualité d’officier de police judiciaire dans le cadre de leurs fonctions, conformément à l’article 43 du Code de procédure pénale qui prévoit des règles particulières de compétence en cas de mise en cause d’un OPJ.
Conséquences Juridiques et Contentieux Possibles
La perquisition d’un local communal peut engendrer diverses conséquences juridiques et ouvrir la voie à différentes formes de contentieux, tant pour la commune concernée que pour les personnes physiques impliquées. Ces suites procédurales s’inscrivent dans un cadre juridique complexe où s’entrecroisent droit pénal, droit administratif et droit des collectivités territoriales.
Exploitation des Éléments Recueillis
Les documents et objets saisis lors de la perquisition sont placés sous scellés et intégrés à la procédure judiciaire. Leur exploitation peut conduire à plusieurs développements :
La mise en évidence d’infractions pénales susceptibles d’entraîner des poursuites contre la commune elle-même (depuis la loi du 10 juillet 2000 qui a instauré la responsabilité pénale des personnes morales de droit public pour certaines infractions) ou contre des personnes physiques (élus, fonctionnaires territoriaux).
Le déclenchement de procédures administratives parallèles, notamment par la chambre régionale des comptes si des irrégularités financières sont détectées, ou par les services préfectoraux dans le cadre du contrôle de légalité.
L’ouverture éventuelle d’une information judiciaire si l’enquête préliminaire révèle des faits complexes nécessitant des investigations approfondies.
L’identification de dysfonctionnements organisationnels au sein de l’administration communale, pouvant conduire à des réformes internes ou à des recommandations des autorités de contrôle.
Contestations de la Régularité de la Procédure
La commune ou les personnes mises en cause peuvent contester la régularité de la perquisition à travers plusieurs voies de recours :
La requête en nullité devant la chambre de l’instruction, conformément aux articles 170 et suivants du Code de procédure pénale, pour contester la régularité formelle ou substantielle de la perquisition. Cette requête peut viser tant l’ordonnance elle-même que les conditions d’exécution de la mesure.
L’exception de nullité soulevée devant la juridiction de jugement, si l’affaire atteint ce stade. Le tribunal correctionnel ou la cour d’assises peuvent alors écarter des débats les éléments obtenus irrégulièrement.
Le recours en responsabilité contre l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, si la perquisition a causé un préjudice anormal et spécial.
La saisine du Défenseur des droits si la perquisition a donné lieu à des comportements contraires à la déontologie de la sécurité.
Les motifs d’annulation les plus fréquemment invoqués concernent :
- L’insuffisance de motivation de l’ordonnance
- Le non-respect des horaires légaux
- L’absence de notification correcte des droits
- La disproportion manifeste entre les mesures prises et la gravité des faits recherchés
- La violation du secret professionnel ou d’autres protections spécifiques
Implications Politiques et Médiatiques
Au-delà des aspects strictement juridiques, la perquisition d’un local communal comporte des dimensions politiques et médiatiques significatives :
Sur le plan politique local, elle peut fragiliser la position du maire et de son équipe, indépendamment de l’issue judiciaire de l’affaire. La simple existence d’une enquête peut créer un climat de défiance au sein du conseil municipal et parmi les administrés.
La couverture médiatique de tels événements est généralement importante et peut affecter durablement l’image de la commune. Les principes de présomption d’innocence et de secret de l’enquête sont parfois mis à mal par le traitement médiatique des perquisitions.
La commune peut devoir mettre en place une stratégie de communication adaptée pour préserver sa réputation et maintenir la confiance des administrés et partenaires. Cette communication doit être soigneusement calibrée pour ne pas interférer avec l’enquête en cours.
En termes de gouvernance locale, des mesures conservatoires peuvent s’avérer nécessaires, comme la mise en retrait temporaire d’élus ou d’agents, ou la réorganisation de certains services.
Ces considérations extra-juridiques ne doivent pas être sous-estimées, car elles peuvent avoir des conséquences durables sur le fonctionnement de la collectivité et sur la carrière des personnes impliquées, y compris en l’absence de suites judiciaires défavorables.
Perspectives et Évolutions du Cadre Juridique des Perquisitions Communales
Le régime juridique des perquisitions dans les locaux communaux connaît des évolutions significatives, influencées par les transformations du droit pénal, les avancées technologiques et les nouvelles exigences de transparence dans la gestion publique. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte plus large de modernisation de la justice et de renforcement des garanties procédurales.
Renforcement des Garanties Procédurales
La tendance actuelle du législateur et de la jurisprudence va dans le sens d’un renforcement des garanties procédurales entourant les perquisitions. Cette évolution se manifeste à travers plusieurs aspects :
L’exigence croissante de motivation circonstanciée des ordonnances de perquisition, sous l’influence notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Vinci Construction c. France du 2 avril 2015, la Cour a rappelé la nécessité d’un contrôle judiciaire effectif sur les mesures de perquisition et de saisie.
Le développement du contradictoire dans la phase préalable à la perquisition, avec des propositions visant à permettre aux personnes concernées de présenter des observations avant que la mesure ne soit ordonnée, du moins dans certains contextes non urgents.
L’amélioration des voies de recours contre les mesures d’investigation, comme en témoigne la création du référé-liberté en matière de perquisition administrative par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
La définition plus précise des critères de proportionnalité que doivent respecter les perquisitions, sous l’influence du Conseil constitutionnel qui, dans plusieurs décisions récentes, a rappelé que les atteintes portées aux libertés devaient être nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs poursuivis.
Impact des Nouvelles Technologies
L’évolution des technologies numériques transforme profondément les modalités des perquisitions dans les locaux communaux :
La dématérialisation croissante des documents administratifs modifie la nature des perquisitions, qui portent désormais souvent sur des données numériques plutôt que sur des documents papier. Cette évolution soulève de nouvelles questions juridiques concernant l’accès aux serveurs distants, aux courriels professionnels ou aux systèmes d’information mutualisés entre plusieurs collectivités.
Les techniques de copie forensique permettent désormais de dupliquer l’intégralité des données d’un système informatique sans perturber son fonctionnement, ce qui facilite la continuité du service public mais soulève des questions quant à la proportionnalité de telles saisies massives de données.
L’émergence de questions juridiques nouvelles liées à l’informatique en nuage (cloud computing) et à la territorialité des données. Lorsque les données d’une commune sont hébergées sur des serveurs situés à l’étranger, des problématiques complexes de coopération judiciaire internationale peuvent surgir.
La nécessité de former les officiers de police judiciaire et les magistrats aux spécificités des perquisitions numériques, afin qu’ils puissent appréhender correctement les enjeux techniques et juridiques de ces opérations.
Vers une Procédure Spécifique pour les Collectivités Territoriales ?
Face aux particularités des perquisitions dans les locaux communaux, certains praticiens et théoriciens du droit plaident pour l’instauration d’un régime procédural spécifique :
La création d’une procédure adaptée qui tiendrait compte du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et de la nécessité de préserver la continuité du service public.
L’élaboration de protocoles d’intervention standardisés entre les autorités judiciaires et les associations représentatives des collectivités territoriales (Association des Maires de France, Assemblée des Départements de France, etc.).
Le renforcement du rôle du préfet comme interface entre l’autorité judiciaire et les collectivités territoriales dans le cadre des perquisitions, afin de faciliter le dialogue institutionnel et de prévenir d’éventuelles tensions.
La définition plus précise des prérogatives du maire ou de son représentant lors des perquisitions, notamment concernant l’accès à certains documents sensibles ou la protection des données personnelles des administrés.
Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans une réflexion plus large sur l’équilibre entre les nécessités de l’enquête pénale et le respect des principes fondamentaux régissant l’organisation territoriale de la République.
La perquisition des locaux communaux demeure ainsi une procédure en constante évolution, reflet des transformations plus générales du droit pénal et du droit public. Les prochaines années verront probablement émerger de nouvelles pratiques et de nouvelles normes visant à concilier toujours plus efficacement l’impératif de recherche de la vérité judiciaire avec le respect des libertés fondamentales et des principes constitutionnels régissant l’administration locale.
La Perquisition Communale : Entre Transparence Publique et Protection des Droits Fondamentaux
L’analyse approfondie du régime juridique des perquisitions dans les locaux communaux révèle la tension permanente entre deux impératifs majeurs : d’une part, la nécessaire transparence de l’action publique locale et la lutte contre les atteintes à la probité ; d’autre part, la protection des droits fondamentaux et le respect de l’autonomie des collectivités territoriales. Cette dialectique structure l’ensemble du dispositif normatif applicable et en explique les subtilités.
Un Instrument au Service de la Probité Publique
La perquisition constitue un outil privilégié dans la lutte contre les différentes formes de manquements à la probité qui peuvent affecter les collectivités territoriales :
Les affaires de corruption et de trafic d’influence impliquant des élus locaux ou des fonctionnaires territoriaux représentent une part significative des enquêtes donnant lieu à des perquisitions dans les locaux communaux. Ces infractions, définies aux articles 432-11 et suivants du Code pénal, constituent des atteintes particulièrement graves à la confiance publique.
Les délits de favoritisme dans l’attribution des marchés publics (article 432-14 du Code pénal) justifient fréquemment des investigations poussées dans les services techniques ou financiers des communes, où les documents relatifs aux procédures d’appel d’offres sont conservés.
Les détournements de fonds publics ou les prises illégales d’intérêt font l’objet d’une attention croissante des parquets financiers, notamment depuis la création du Parquet National Financier en 2013, qui dispose de moyens d’investigation renforcés.
Les perquisitions s’inscrivent ainsi dans une stratégie globale de moralisation de la vie publique locale, aux côtés d’autres dispositifs comme les déclarations de patrimoine et d’intérêts imposées aux élus, ou le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes.
Un Encadrement Juridique en Constante Évolution
Le cadre juridique des perquisitions dans les locaux communaux connaît des évolutions significatives, sous l’influence de plusieurs facteurs :
La jurisprudence constitutionnelle a progressivement affiné les exigences relatives aux mesures d’investigation. Dans sa décision n°2016-552 QPC du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré certaines dispositions relatives aux perquisitions administratives pour défaut de garanties suffisantes, illustrant sa vigilance en la matière.
Les réformes législatives successives ont cherché à renforcer tant l’efficacité des investigations que les droits des personnes concernées. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a ainsi modifié plusieurs aspects de la procédure pénale, notamment concernant les recours contre les mesures d’enquête.
L’influence du droit européen se fait sentir à travers la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui a développé une doctrine exigeante en matière de perquisitions des locaux professionnels. Dans l’arrêt Société Métallurgie Liotard Frères c. France du 5 mai 2011, la Cour a rappelé que ces mesures devaient s’accompagner de « garanties adéquates et suffisantes contre les abus ».
Les pratiques professionnelles des magistrats et enquêteurs évoluent également, avec une sensibilité accrue aux questions de proportionnalité et une meilleure prise en compte des spécificités des collectivités territoriales.
Vers un Équilibre Entre Efficacité et Protection des Droits
La recherche d’un équilibre optimal entre efficacité des investigations et protection des droits fondamentaux constitue l’horizon vers lequel tend l’évolution du régime des perquisitions communales :
Le développement de procédures alternatives aux perquisitions traditionnelles, comme la remise volontaire de documents ou les auditions ciblées, peut permettre dans certains cas d’obtenir les éléments nécessaires à l’enquête tout en limitant l’impact sur le fonctionnement des services communaux.
L’amélioration de la formation des acteurs judiciaires aux spécificités du droit et du fonctionnement des collectivités territoriales constitue un levier majeur pour prévenir les contentieux inutiles et garantir des investigations respectueuses des principes fondamentaux.
Le renforcement du dialogue institutionnel entre autorités judiciaires et représentants des collectivités territoriales peut favoriser l’émergence de bonnes pratiques et d’une compréhension mutuelle des contraintes et objectifs de chacun.
La réflexion sur une possible gradation des mesures d’investigation, adaptée à la nature et à la gravité des faits suspectés, pourrait permettre de réserver les perquisitions aux situations où elles apparaissent véritablement indispensables.
Une Procédure au Cœur des Enjeux Démocratiques
Au-delà de ses aspects techniques, la perquisition des locaux communaux soulève des questions fondamentales touchant à l’équilibre des pouvoirs et à la confiance démocratique :
Elle met en jeu la séparation des pouvoirs entre autorité judiciaire et collectivités territoriales, deux piliers de l’organisation institutionnelle française dont les prérogatives doivent être soigneusement articulées.
Elle cristallise les tensions entre impératif de transparence et protection de la sphère décisionnelle des élus locaux, nécessaire à l’exercice serein de leurs responsabilités.
Elle interroge le rapport des citoyens à leurs institutions locales, la confiance dans l’intégrité des élus étant un fondement essentiel de la légitimité démocratique au niveau territorial.
Elle reflète l’évolution des attentes sociétales en matière d’exemplarité des responsables publics, avec une exigence croissante de probité et d’intégrité.
La perquisition des locaux communaux s’affirme ainsi comme une procédure emblématique des transformations contemporaines de notre système juridique et politique, où la recherche d’un juste équilibre entre efficacité répressive et garantie des libertés demeure un défi permanent. Son évolution future dépendra largement de notre capacité collective à concilier ces impératifs apparemment contradictoires mais en réalité complémentaires, au service d’une démocratie locale plus transparente et plus respectueuse des droits fondamentaux.